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Concepts
:
L'idée des peintures sculptées est
venue d’une double
circulation de la pensée.
D'une part
d'un constat de limites : L’impossibilité d'être peintre (au-delà
du sujet - Dunes, Peinture-roman - ou de la théâtralité des émotions et
de leur mise en scène sur un
support à deux dimensions) pour un sculpteur, cerveau conditionné pour le
volume et les trois dimensions. Les deux dimensions d'une toile ou de
n’importe quel support inhérent à la peinture, et cela même si le
rectangle toile/châssis est éventuellement aboli, mène un sculpteur à
l'obligation de " traiter" un sujet sur le mode illustratif ou de
concevoir l'espace décrit sur le support comme une sculpture virtuelle, une
sorte de trompe-l’œil.
La constante de la sculpture ou de
la statuaire, est d'accumuler un volume de matière et de retrancher dans ce
volume. D'évider, de trouer, de former un volume
choisi ou de créer un
volume par
accumulation de matière.
Accumuler, retrancher, sont les deux pôles de la statuaire dans la
prise en compte de l'espace imparti à la sculpture. La toile, pas plus que
la feuille de papier, ne répond à cette double exigence, puisque les
gestes d'accumuler et de retrancher reviennent en réalité à inscrire ou effacer sur un matériau
et non dans un matériau.
D'où l’échec pour le sculpteur à conceptualiser la peinture autrement
que par le descriptif.
D'autre part, la lecture de l’œuvre
poétique de Sophie Javel, jeune poète
née en 1969, a donné à l’auteur une voie pour le dépassement
possible de cet obstacle et une proposition de solution aux problèmes posés,
par translation des approches
que cet écrivain a de l'écriture, à l'approche
d'une gestion différente de la toile peinte (ou du papier peint ;
le carton, rigide, ne pouvant être pris en compte).
Schématiquement l'oeuvre écrite de
Sophie Javel est basée sur une triple prise en compte du mot et de son
signifiant :
-L'exactitude
( et l'économie) du ou des mots assemblés, pour signifier une idée, une
situation, une sensation, un espace intérieur, par association de sens.
-Le
son du mot (espace sonore) qui vient dans le continu de la lecture, comme
surajouté, au sens du mot, des mots. Comme si une seconde voix sonore, indépendante
du sens intrinsèque du mot, venait créer une signification autre et
surajoutée à celui que I
'intelligence perçoit.
-Le
souffle, la respiration qui porte loin le rythme des vers ou des phrases,
dans un espace à la dimension onirique. Ce souffle projette les mots, leur
sens et leurs musiques, dans un espace mental qui irradie loin et fort, et
bien au-delà des mots.
De ce triple constat de l'oeuvre de
Sophie Javel, qui s'inscrit dans l’univers poétique de notre époque (
Royet-Journoux, Albiach, Delay, etc.)
auquel viendra plus tard s'ajouter la prise en compte de la mise en place
typographique et de l'espace neutre qu'elle génère et du silence habité
qui en est l'essence, l'auteur a transpose à l'oeuvre
"peinte" cette manière de procéder:
-Non
plus toile peinte, mais parcelles de toiles ou de tissus peints, dont on ne
garde que les parties essentielles, les plus significatives, des lambeaux
saturés , et dont I 'assemblage, la juxtaposition, créent un espace
pictural plus fort, plus riche, plus significatif, à la fois par économie
des moyens ( I 'inutile est jeté, tout romantisme éliminé) mais
aussi par frottement de
leurs essences, donnant à voir un nouvel espace pictural.
-Au
lieu d'être agencés sur une surface plane, ces " lambeaux", sont
organisés en volume, créant ainsi un deuxième sens plastique se
superposant à celui des tissus peints et donnant, comme pour la poésie un
" son" différencié du sens des mots, un espace - par le volume -
différent de I 'espace pictural seul. Ils se juxtaposent et se complètent
sans jamais se confondre.
-
Enfin cette mise
en volume est
relayée par
des éléments
de tissus, qui lui
donnent l’exacte place dans I'espace, par l'aménagement de passages,
entre I 'espace de situation ( l'endroit où se trouve l'oeuvre) et I'espace
propre aux tissus " sculptés", et mis en volume.
Cette mise en scène, par un socle,
une structure sur laquelle est bâtie l'œuvre à la fois peinte et volume,
permet à cet espace de situation, quel qu'il soit de pénétrer l'espace
propre à l'oeuvre,(ou le contraire), sans
donner l'impression d'être un corps étranger... Cela remplace le
"souffle" du poète, permet à la " peinture- sculptée",
d'avoir une vie dans l'espace, une monumentalité, le regard et l’air étant
obligés de prendre en compte I 'existence de cet élément, comme l'oreille
doit prendre en compte par le son et par le souffle le poème lu à haute
voix, dans un autre espace que celui du sens des mots.
Ici,
il n'y a pas à proprement parler de thématique générale, mais
plutôt une " manière" d'aborder les sujets traités par chacune
des peintures-Sculptées. Evocation de la nature. Dont les titres
fournissent une indication: " Paysage escarpé "- " Coucher
de soleil "- Idée d'arbre". Ou évocation d'un mouvement, d'un
espace, " Oiseau "- "Poème
"- " Gestes d'une femme "(...)
Pas plus que dans " Dunes"
il n'y a une volonté descriptive, plus ou moins rationnelle d'un lieu, d'un
événement ou d'une personne. Mais une imprégnation et une restitution.
Imprégnation de formes, de couleurs, d'odeurs, de tactilité, de points de
vues, d'idées et de réflexions, de lectures ou d'écoute de sons ou de
musiques, de mots et de bruits, et une restitution, par juxtaposition, de
ces éléments transposés sur le tissus peint et mis en forme.
Une concentration visuellement significative d'une
source bien plus importante de renseignements recueillis, qu'ils soient
sensoriels on réflectifs. Un peu à la manière d'un poème, on en revient
toujours là…
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